Vous reprendrez bien un peu de « débat sur l’immigration » ?
Guerre en Europe, risque de coupures électriques dans les foyers, explosion des coûts de l’énergie pour toutes et tous, services d’urgences de l’hôpital public à genou, immobilisme face à la crise climatique, inflation durablement installée, crise de l’hébergement d’urgence… Voilà les sujets de préoccupations qui reviennent dans la bouche des Ivryennes et des Ivryens lors de nos échanges.
Mais arrêtez tout ! Le gouvernement a tranché : en janvier, le sujet mis à l’agenda politique et médiatique doit être… l’immigration.
S’appuyant sur un fait divers et diverses polémiques orchestrées par l’extrême-droite pour distiller quelques annonces, le Ministre de l’Intérieur G. Darmanin soumettra sous peu au Parlement un énième projet de loi « relatif à l’asile et à l’immigration dans la République ». La dernière loi votée sur « l’Asile et l’Immigration » ne remonte pourtant qu’à 2018, et celle de 2023 sera la 22ème loi sur le sujet depuis 1990 !
Si le ministre Darmanin a ouvert une « consultation » en novembre, des responsables d’ONG de solidarités avec les personnes migrantes l’ont jugée « de façade », ne permettant de débattre que de détails à la marge d’un texte dont les orientations étaient déjà fixées. Les orientations de la loi alimenteraient, encore plus, une politique de « France forteresse » au mépris des concerné·es. Le premier volet de cette loi serait un volet de « fermeté » visant à durcir les conditions d’accès aux titres de séjour et à faciliter les expulsions. Parmi l’arsenal de mesures répressives, se dégagerait le conditionnement de la délivrance d’un titre de séjour à la maitrise du français, la délivrance d’une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF) systématique en cas de refus du statut de réfugié, ou encore l’inscription au fichier des personnes recherchées – rien de moins – de celles et ceux ciblés par une OQTF.
Pendant ce temps, à quelques kilomètres de la place Beauvau, c’est pourtant un tout autre problème que pointent les personnes immigrées et les associations : il faut des mois ou des années pour l’instruction d’un dossier de demande de régularisation par la Préfecture. Régulièrement, des Ivryennes et des Ivryens de longue date nous expriment leur détresse : faute de renouvellement de leur titre de séjour dans les temps, ils ou elles manquent de perdre de leur emploi, leur bail locatif…
Pour compléter le tableau, le projet de loi veut aussi créer un titre de séjour « métiers en tension » et réaliser un fantasme libéral séculaire : caler la durée du titre de séjour sur celle du contrat de travail. Formidable recul du droit en perspective, où la personne immigrée, brutalement résumée par sa capacité de travail, verrait son parcours de vie placé entre les mains de la conjoncture économique… et celles de son employeur.
Pourquoi « l’immigration » mobilise-t-elle autant l’exécutif ? D’après l’INSEE, 5,2 millions de personnes étrangères vivaient en France en 2021. Cela représente 7,7% de la population du pays. Parmi elles, 800 000 sont nées sur le sol français. A l’échelle mondiale, l’ONU estime qu’en 2021, 89 millions de personnes avaient été contraintes de quitter leur pays… La même année, la France n’enregistrait que 120 000 demandes d’asile. Loin des discours xénophobes de la droite et de l’extrême-droite, notre pays n’est donc pas en situation de « crise migratoire ».
Nous sommes loin, très loin, de créer les conditions d’un accueil digne pour toutes celles et ceux qui fuient les conséquences directes ou indirectes du réchauffement climatique.
Imposer un nouveau recul des droits à la fraction la plus vulnérable de la population poursuit deux objectifs. Le premier, est d’aggraver la précarité de toutes les personnes contraintes à une situation irrégulière en France, qui vivent et travaillent ici, mais ne peuvent prétendre à aucun droit du travail ni au logement. Le second, s’appuyant sur les 89 députés RN, est « d’occuper le terrain » politique avec un discours xénophobe alors que le camp présidentiel annonce, depuis plusieurs semaines, une nouvelle dégradation du système de retraite qui ne trouve pas de majorité à l’Assemblée. Le gouvernement peut ainsi s’appuyer sur ces nouveaux reculs pour faire taire toutes les revendications contre la vie chère qui s’expriment dans le pays depuis un an.